..."ça ne m'intéresse pas de faire des vues champ contre-champ. ?a m'intéresse de faire des vues avec un "je" plutôt qu'un "il". L'histoire des caméras subjectives, c'est un "je", un "je" fictif mais qui est le pivot de l'histoire, autour duquel la vie s'organise".
"...Le cinéma est un art qui appelle aux sens, et pour toucher ça, je préfère pouvoir jouer librement avec les couleurs, le drame, la comédie... J'aime aussi jouer avec le langage du documentaire et en rire un peu. ..
....On peut avoir un propos intellectuel, mais si tu parts avec ça tu manques ton coup. C'est toujours mieux de partir avec une bonne histoire qui peut parler à ta tante qui n'est pas allée à l'école, puis ensuite tu peux ajouter des sous-trames, des questions secondaires qui peuvent t'amener plus loin dans le propos. Si tu n'as pas d'histoire, tu n'as rien, tu ne parles pas à tout le monde. Je me suis toujours refusé à faire de la "vidéo d'art" parce que c'est ésotérique. Il faut que je parle à quelqu'un, peu importe les expériences et simagrées que je peux faire. Le langage est important et on ne peut pas le briser comme ça. Il y a un certain niveau de compromis à faire et moi, celui que je fais, c'est d'avoir une histoire bien simple et compréhensible. La vidéo qui tourne en peinture cinétique, ça me communique autant que le jaune et le bleu du mur ici, c'est quelque chose, c'est viscéral, mais ce n'est pas assez.
Au fond c'est que je ne pourrais pas faire autre chose. Je suis comme ça. ?a peut devenir déprimant, tu te sens prisonnier de toi-même. On sait pertinemment que chaque auteur tourne autour d'un thème toute sa vie. Un poteau et une corde, que ce soit en littérature, en peinture ou au cinéma. Parfois tu fais quelques spirales mais le poteau est central et c'est ça qui devient down. Fassbinder a dû en savoir quelque chose. Il a tellement fait le tour dans tous les sens, mais en bout de ligne c'est toujours lui, c'est Fassbinder. ....Avec le temps, la corde devient de plus en plus courte autour du poteau.
...Ce n'est jamais moi. C'est moi qui filme techniquement mais c'est une fiction. Enfin, disons qu'il y a 50% qui doit être inspiré de moi-même, de mon vécu, et l'autre 50% peut être alimenté par l'imagination ou d'autres personnes que j'ai vues. Je n'ai jamais fait de documentaire, ça ne m'intéresse pas vraiment. J'ai souvent utilisé des éléments documentaires, au sens où je ne les ai pas mis en scène, ... Mais je les ai réorganisés dans une fiction. Bien sûr le documentaire peut amener quelque chose, mais je me dis que ça n'existe pas le vrai documentaire, parce que tout nous documente sur tout.
....On se connaît depuis longtemps, depuis l'école, et nous avons été mari et femme pendant dix ans. Nous travaillons bien ensemble, tout simplement . On n'a plus besoin d'avoir des grandes discussions quand on fait quelque chose, on se connaît bien. Elle fait partie de la gang avec qui je travaille. Lorraine c'est mon cerveau, Jean-Pierre Saint-Louis c'est mes yeux pis Marcel Chouinard c'est mes oreilles, alors travailler sans eux... je ne me sens pas bien. Parfois on se dit qu'en travaillant avec d'autres on pourrait faire quelque chose de différent. Mais là je repense à mon poteau, je ne serai pas différent en travaillant avec d'autres et ceux qui connaissent bien ce que j'ai déjà fait peuvent me pousser plus loin.
.....Je suis orgueilleux, j'ai peur d'en faire un de trop, de seulement rajouter du bruit et de la pollution par-dessus ce qui est déjà là. Le cinéma c'est comme une bulle que tu crées autour de toi et tu ne sais pas si la dernière puff d'air ne la fera pas péter"
ROBERT MORIN
S'entêter à faire réfléchir,1998
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